Lecture subversive de la parabole des talents |
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Mardi, 21 Novembre 2017 00:00 |
Dimanche dernier dans toutes les Eglises du monde la lecture de l’Evangile rappelait la fameuse « parabole des talents ». Une phrase de cette parabole a été reprise maintes fois par les détracteurs du capitalisme qui y ont vu la condamnation de l’exploitation des pays pauvres par les pays riches. C’est exactement le contraire de ce que signifiait la parabole, qui plaidait non pas contre le mauvais maître, mais contre le mauvais serviteur.
« À celui qui a, on donnera davantage, et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a ». (Matthieu, 25, v.14-30). Voilà la phrase qui a permis aux théoriciens des « cercles vicieux du développement » dans les années 1950 de diffuser la théorie marxiste de l’impérialisme : le tiers monde pauvre (le Sud) ne cessera de s’appauvrir tandis que le monde riche (le Nord) ne cessera de s’enrichir, et ceci explique cela. Des économistes aussi renommés que Gunnar Myrdal (qui a partagé le prix Nobel 1974 avec Hayek –un comble !) ont vulgarisé la vieille idée de Lénine et Rosa Luxembourg : le colonialisme et l’impérialisme permettent d’apaiser la lutte des classes dans les pays développés grâce au pillage des pays du Tiers Monde. Mais l’habileté consiste évidemment à mettre les catholiques dans la poche en leur indiquant que c’est Jésus lui-même qui se serait apitoyé sur le serviteur le plus pauvre. Le contenu de l’Evangile est tout à l’inverse une sévère condamnation du serviteur « pauvre ». En quittant son domaine, le maître a confié une certaine somme d’argent (des « talents », comme thaler ou dollar) à trois serviteurs, pour un montant variable avec la capacité de chacun, c'est-à-dire son aptitude à faire fructifier les sommes remises : cinq, trois et un talent. Première constatation : tout le monde est servi, et Dieu donne à chacun la part de richesse qu’on peut lui confier en confiance : ne pas exiger plus de ceux qui peuvent moins. Quand il revient, le maître s’enquiert de ce que sont devenus les talents confiés : les deux premiers ont multiplié par deux la valeur de leur dotation : cinq sont devenus dix et deux sont devenus quatre. Le maître est satisfait, et renouvelle son apport pour qu’ils continuent à bien gérer, se comportant comme si l’engagement pris envers le maître revenait à travailler comme s’il était là. Malheur au troisième : il s’était contenté d’enfouir dans la terre le talent qu’il avait reçu. Au maître qui lui fait remarquer qu’au minimum il aurait pu placer l’argent en banque et percevoir un intérêt, le serviteur répond avec aplomb : je me suis contenté de conserver la valeur de ma dotation parce que je craignais trop la réaction du maître si je ne pouvais pas rendre le talent confié. Il justifie cette peur du maître : « tu récoltes ce que tu n’as pas semé », en d’autres termes, tu exploites le travail des autres. Ainsi le mauvais serviteur est celui qui n’a pas honoré des relations de confiance entre maître et serviteur, c’est aussi celui qui a fui les responsabilités et l’esprit d’entreprise pour se réfugier dans une logique de rapport de force et de violence. Mais évidemment les marxistes et les « chrétiens de progrès » des années 1950 ne pouvaient accepter cette version de l’Evangile. Sont-ils prêts à l’accepter aujourd’hui ? La parabole des talents était lue en ce dimanche qui était, à la demande du Pape François, la journée mondiale de lutte contre la pauvreté. Cette journée a certainement dû apprendre à tous les catholiques que les inégalités économiques naissent de la rupture de la confiance et du sens des responsabilités, et que la lutte contre la pauvreté s’entend aussi bien de la pauvreté intellectuelle et morale que de la pauvreté économique. |